Textes de Francis Loser

« l’esthétique, présente en tout lieu et moment, relie art et vie »

Des textes sur l’esthétique et le sensible

Les expériences esthétiques, qu’il s’agisse de la contemplation de la neige ou de la découverte d’un immeuble en ruines, touchent profondément le corps, les émotions et l’esprit. Selon Hans Georg Gadamer et Hartmut Rosa, l’esthétique, présente en tout lieu et moment, relie art et vie, enrichissant la compréhension des interactions humaines et sociales. Une série de textes rassemblés ici approfondit ces réflexions sur l’esthétique et le sensible.

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Envoûtante Neige

La neige tombe, d’abord en petits flocons virevoltants qui captent le regard étonné, puis se densifie peu à peu pour s’épaissir au point de former une sorte d’écran opaque qui empêche de voir à plus de deux mètres. D’un coup, les repères du monde habituel s’estompent et je bascule dans une forme d’enchantement ouaté.

Scène Estivale Urbaine

Il fait bon, c’est l’été et je déambule dans les rues de la ville. Même si l’heure est matinale, la chaleur commence moite déjà à imprégner mon corps. Tout à mes pensées, je ne prête guère attention à ce qui m’entoure, qu’il s’agisse des immeubles ou des rares passants que je croise quand, soudain, à la croisée de deux rues un événement se produit et me tire de ma torpeur. Je fais face à une mise scène dantesque, celle d’un immeuble éventré dont il ne reste debout que quelques pans de murs que les pelles mécaniques ont provisoirement épargnés. La vue d’ensemble est saisissante, mais mon regard se perd sur un tableau à la composition incroyable dans les entrailles de plusieurs appartements qui livrent sans pudeur leur intimité. Pour peu qu’on s’y attarde, tout un monde se donne à découvrir : les couleurs des boiseries, les motifs et teintes des tapisseries, les marques claires laissées par les tableaux décrochés et les affiches décollées, certaines d’entre demeurant en place comme pour témoigner de la vie des gens qui ont habité ces lieux avant de devoir les abandonner.

Expérience Esthétique et Sensible

Qu’il s’agisse de cette scène ou de celle de la première neige, à chaque fois il est question d’une expérience singulière, mais également saisissante en ce qu’elle n’a traversé de part en part, corporellement, émotionnellement et intellectuellement, comme si j’avais été foudroyé. Le philosophe Hans Georg Gadamer (1993) considérait ce genre d’expérience humaine totale comme étant une expérience esthétique. Ainsi que le montrent mes deux illustrations, l’expérience esthétique n’est pas exclusive à la contemplation des œuvres d’art, mais peut nous saisir à tout instant et en tout lieu pour autant que nous soyons disposés à nous laisser toucher, à nous laisser émerveiller par ce qui nous environne. C’est avant tout une affaire de qualité d’être au monde dont il est question ici.

Un Pont entre Art et Vie

Rappelons ici que dans les sociétés traditionnelles, de même qu’en Occident avant la rationalité des Lumières, l’art n’était pas autonome, ni distinct des activités rituelles et religieuses. Ainsi, depuis le fond des âges existe une conception du sensible, et plus largement du monde, qui échappe au dualisme qui conduit à catégoriser choses et gens de façon binaire (art-science, culture-nature, raison-émotions, etc.). Si l’on opte pour une conception moins clivante du savoir, art et science ne s’opposent aucunement et contribuent ensemble à une compréhension qui englobe la rationalité et le sensible.

Pour une Recherche Sensible en Sciences Humaines

Comme le souligne le philosophe et sociologue Hartmut Rosa (2018), nous vivons en résonance avec notre environnement du fait que « nos relations au monde sont toujours à la fois corporelles, émotionnelles, psychiques et symboliques » (2018, p. 110). Cette réflexion nous rappelle que l’être humain est un être incarné qui ne peut pas agir, ressentir et penser hors de son corps. – « J’ai un corps et je suis un corps » (Shusterman, 2009). Le corps, avec ces cinq sens, constitue le substrat qui nous relie au monde et nous permet de vivre les expériences qui nous forgent. Plutôt qu’à l’art, aux œuvres, aux canons normatifs, autres joutes et discours qui animent ce domaine d’activité, je m’intéresse prioritairement à l’art en train de se faire (Dewey, 2005) et surtout à l’expérience esthétique qui accompagne le mouvement de contemplation et le temps de création. Duchamp aimait à penser que c’est le regardeur qui fait l’œuvre d’art comme on dit d’ailleurs que les lectrices et lecteurs créent le récit tout en le découvrant. Là encore, on dépasse le dualisme qui oppose arbitrairement les créateur et créatrices et le public. L’expérience esthétique jette des passerelles entre l’art et la vie, les mouvements sensibles n’étant pas l’apanage d’artistes visités par des muses, mais portés par toute personne qui accepte de laisser inviter au sensible, aux étonnements qui peuvent survenir à tout moment et en tout lieu.

Pour une Approche Esthétique et Sociale en Sciences Humaines

Ces quelques réflexions m’ont semblé utiles pour introduire l’idée que la recherche en sciences humaines peut largement bénéficier des apports du sensible. Pas une sensibilité qui se verrait assignée à l’intimité et à la subjectivité, mais une sensibilité largement structurée par notre place dans le monde (famille, genre, classe, religion, culture, etc.) et notre époque. L’histoire de l’art en témoigne. En recherche qualitative, la mise au travail de la perception et des émotions apporte des informations cruciales pour saisir les points de vue, au sens propre et figuré du terme, les ambiances qui imprègnent les lieux, les enjeux qui sous-tendent les tensions entre groupes, les sentiments (la honte ou l’embarras par exemple) qu’éprouvent les actrices et acteurs en interaction, y compris les chercheur·es.

Explorez une Approche Esthétique et Sociale dans les textes de Francis Loser

Sur ce site, explorez une série de textes et d’articles qui abordent des réflexions sociales à travers une approche esthétique et sociale.

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